Des Clés de la Peinture

Expositions

GERHARD RICHTER AU CENTRE POMPIDOU: UNE RETROSPECTIVE

29-06-2012


C'est en 1961, après avoir quitté l'Allemagne de l'Est que Gerhard Richter se fixe à Düsseldorf, comme étudiant à l'académie d'art de la ville, dans la classe de Karl Otto Götz. Sigmar Polke, Konrad Fischer  et Blinky Palermo sont dans la même classe. Beuys, qui anime le mouvement Fluxus, est enseignant à Dûsseldorf. Ce milieu artistique très riche fascine Richter, en particulier Fluxus "si absurde et destructeur".
Au cours d'un voyage à Paris en compagnie de Sigmar Polke, Richter découvre les oeuvres de Roy Lichtenstein et de Andy Warhol  exposées à la galerie Ilenaa Sonabend. Richter prend le train de l'avant garde américaine et réalise, comme Andy Warhol, des peintures d'après photographies.
A cette époque, en1963, Richter, Polke et Konrad Fisher Lueg (1939-1996) exposent sous la bannière du Réalisme Capitaliste. Richter peint d'après des photos de catalogues de meubles ,d'automobiles (Ferrarri), de voyages (Egypte), de la même façon que Andy Warhol peint des bouteilles de Coca-Cola. Il peint aussi tout comme Warhol à partir de photographies de magazines. La série de portraits des infirmières assassinées répond chez Richter aux portraits de criminels de Warhol et tous deux utilisent la photo de Jackie Kennedy avec le Président Johnson.
En 1965 Richter se démarque du Pop-Art américain. Il réalise des peintures originales à partir de photos familiales. Avec "Oncle Rudi" et "Tante Marianne" l'histoire allemande est sollicitée. La photo de Tante Marianne montre Gherard bébé avec sa tante qui a été euthanasiée dans un hôpital psychiatrique allemand, pendant la période nazie. L'oeuvre ressort au plein jour des photos enfouies dans les placards et expose un passé douloureux.
D'autres artistes allemands d'après guerre ont réalisé des oeuvres sur l'Allemagne nazie: Anselm Kiefer (né en 1945), Jörg Immendorf (1947-2005) et Georg Baselitz (né en 1938). Chez Gerhard Richter la dimension historique de la peinture disparaît pour de nombreuses années en 1965, qui marque un tournant dans son oeuvre. Il renouera avec l'histoire de l' Allemagne en 1988 avec la série "October". La collaboration entre les artistes du Réalisme Capitaliste cesse également en 1965.

En 1966, il peint "Emma", sa femme, d'après une photos prise par lui: c'est un nu descendant un escalier. Clin d'oeil au "Nu descendant l'escalier" de Marcel Duchamp (1887-1968), dadaïste, qui a préconisé la fin de la peinture et le ready made. Le nu dans l'escalier de Richter est de fait de la grande peinture et de plus très classique.
A la même époque Richter peint ses premières tables de couleurs qui sont au début des reproductions  de nuanciers pour peintre en bâtiment. Peut être s'agit il d'un nouveau clin d'oeil à Marcel Duchamp  qui avait réalisé un "Nuancier" pour Katherine S. Dryler. Richter, qui sait choisir un thème pictural à cheval sur l'histoire de l'art et sur l'avant garde, a dit au cours d' un interview en 1986 que ses tables de couleurs avaient à faire avec le Pop-Art et qu'elles étaient dirigées contre les efforts des néo-constructivistes, Albers (1888-1976) et les autres.
Chose caractéristique chez lui, il va exploiter ce thème et le développer comme une sorte de programme informatique. Il fait plus que stigmatiser Albers, il se confronte à l'avant-garde, depuis Duchamp et son Ready Made, sa volonté de peindre comme une machine, jusqu'à Ellsworth Kelly de " Spectrum Colors arranged by chance" (1951).
"256 couleurs" puis "1024 couleurs" utilisent à la fois une méthode de combinaison de trois couleurs primaires plus un gris et une disposition des rectangles colorés laissée au hasard. Cette série riche, variée, va tout naturellement s'amarrer au navire de l'art conceptuel.
L'alternance de tableaux d'après photos, comme "Emma" et de tables de couleurs inaugure les ruptures que Richter intoduit dans le cours de son oeuvre avec l'alternance d'oeuvres figuratives et abstraites. La représentation d'un nuancier n'est pas un thème abstrait mais le développement du thème et la composition des panneaux de couleurs devient un thème abstrait .

Les peintures d'après photo sont réalisées par la projection d'une diapositive sur la toile. Cet à priori permet  de faire l'économie d'une recherche picturale. La photographie élimine la subjectivité du peintre. Elle est considérée par Richter comme la trace matérielle d'un objet et à ce titre objective. Pour le peintre, la photographie est l'image parfaite qui ne change pas et sans style. Elle est une source puisqu'"elle illustre si bien la réalité". Mais "la photo est un art sans artiste" et un automatisme. Sa reproduction en peinture n'est pas le but du peintre. Richter est pionnier d'une pratique qui s'intéresse à la dialectique entre objectivité et subjectivité engendrée par la peinture d'après photo. En peignant il réalise une estompe de l'image et affirme ainsi qu'il est peintre au même titre que Goya représentant un tissus soyeux et des broderies réalistes qui vues de près ne sont plus  que des éclaboussures et des taches.
Richter explique lors de la Biennale de Venise en 1992: "Je ne me méfie pas de la réalité, dont je ne sais presque rien, mais j'entretiens des soupçons concernant l'image de la réalité que nos sens nous apportent, qui est incomplête et limitée [......] Je ne peux rien décrire plus clairement concernant la réalité que ma propre relation à la réalité. Et celle ci a toujours eu à voir avec le flou, l'insécurité, l'inconsistance, la fragmentation, je ne sais quoi encore".
Les sujets des peintures de photographies changent à partir de 1966 avec l'utilisation de photos dont il est l'auteur." Emma" est le prototype de cette démarche. Il peint ainsi d'après  photos de nuages, de montagnes ,de paysages de Corse (1968), de paysages marins (1969), de Davos (1981), ou d'icebergs (1981).

Gerhard Richter, Chinon n° 645, 1987
Huile sur toile,
200 x 320 cm

© Gerhard Richter





Il se réfère aux romantiques allemands  Caspar David Friedrich (1774-1840) et  son élève Carl Gustav Carus (1789-1869 ) et a leurs paysages avec brumes. Friedrich dit que le paysage parait ainsi plus grand et que la brume "l'ouvre au sublime au travers du pouvoir de l'imagination". Le flou que Richter introduit dans ses peintures de photographies est l'équivalent des brumes romantiques et le déclencheur de la "puissance imaginante"." Les paysages sont une tentative pour voir dans quelle mesure il est encore possible aujourd'hui d'utiliser la beauté." Cet aveu traduit l'isolement du peintre qui réalise des paysages malgré le mouvement conceptuel ambiant . La référence à la peinture romantique allemande et la virtuosité du peintre sont les seuls atouts pour ces oeuvres très décalées de l'avant-garde  et du marché de l'art. Mais ses peintures de paysages démontrent à posteriori que les discours sur la mort de la peinture étaient une vue de l'esprit et une tyrannie.
Il en est de même pour les  portraits, réalisés à partir de photos familiales, dont on a comparé les sujets à ceux de Vermeer: "Femme lisant" (1994), "Betty" (1988)...Ce sont des oeuvres proches de l'intimisme Hollandais du XVIIe siècle, ou de l'intimisme chez Picasso et Bonnard. Une fois de plus Richter renouvelle un genre considéré comme périmé, au nez et à la barbe des tenants de l'art conceptuel.
Les tables de couleurs et les repeints sur paysages, les vues aériennes de villes, avec modifications de la touche en remplacement du floutage usuel, aboutissent à des oeuvres quasi abstraites avant 1968. Des oeuvres non figuratives figurent dans le catalogue à partir de 1968, elles correspondent à des surcharges sur une peinture comme "Deux femmes à une table" (1968).

Dans sa démarche faite de ruptures et certainement pour des raisons d'ordre plastique, Richter réalise à partir de 1980 des oeuvres abstraites d'une technique très particulière. Ces peintures (Abstrakt Bild) sont constituées d'une couche à l'aérographe, sorte de fond nuageux et espace immense, surchargé de pigments traînés par des râteaux qui est une surface quasi tactile dans son aspect rugueux ou écaillé. Ce travail "matiériste" et gestuel crée des effets de contraste et de profondeur associés à une sensation de matière.

Gerhard Richter,
Cage 1
2006
Huile sur toile, 290 x 290 cm
© Gerhard Richter



Sans se préoccuper des tendances de l'abstraction minimaliste de l'époque, Richter a réussi à recycler l'art non figuratif expressionniste. La série de la Tate Galery "Cage" nous rappelle son l'intérêt pour la musique de John Cage (1912-1992)  basée sur le hasard, sur l'expérience et le refus des idéologies artistiques dominantes, caractéristiques que Richter partage profondément.

L'exposition en cours pose la question de la place de la peinture aujourd'hui  en France. Les institutions en tête et les post-modernes refusent la peinture qu'ils déclarent périmée et close, ils n'accordent d'intérêt qu'aux nouveaux médias, vidéos ou installations. A l'opposé de cette attitude de rejet , la peinture s'est développée en Allemagne depuis la dernière guerre; des collectionneurs privés font des acquisitions et les musées exposent les peintres. La doctrine à l'oeuvre en France depuis les années 1980, la rareté des collections, expliquent le désert pictural français. Dans ce contexte, la peinture allemande et Richter en particulier sont des singularités. L'interview de Robert Storr par Catherine Millet dans Art Press ( juin 2012) le montre, lorsque la directrice de la rédaction demande encore et toujours au critique si Richter n'est finalement pas un post-moderne avant l'heure ou un conceptuel? Conceptuel, sans doute avec ses panneaux colorés. Post-moderne, apparemment c'est plutôt le contraire, mais qu'est-ce que le post modernisme? En tout cas, il est peintre et fait vivre la peinture.


      Dominique Dumas

 

 


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Dernière mise à jour:
28/12/2012
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