Expositions

 

Deux générations de collectionneurs, Franz Burda et son fils Frieder Burda, ont rassemblé des oeuvres de trois générations de peintres allemands, qui constituent une partie du fond du musée de  Baden Baden.
L'exposition à Aix en Provence d'oeuvres de la collection Frieder Burda se tient  au musée Granet du 14 Juin au 30 Septembre 2012.

LES PEINTRES ALLEMANDS DE L'EXPOSITION : LE POIDS DE L' HISTOIRE.

Ernst Ludwig Kirchner est l'un des fondateurs du mouvement Die Brücke en 1905, alors qu'il est étudiant en architecture à Dresde. Le groupe comporte Fritz Bleyl, Erich Heckel (1883-1970 )  et Karl Schmidt-Rottluff (1884-1976 ) .
Ces jeunes étudiants, animés d'une volonté de création démesurée, sont rassemblés dans une expérience artistique commune, bien que l'individualisme en soit le principal moteur.
Kirchner est l'artiste principal du groupe dont le premier principe est le rejet de la tradition. Le désir de préserver la fraîcheur des sensations et la conviction que les moyens d'expression qu'ils recherchent ne s'enseignent pas, sont les autres principes du groupe.
Kirchner a gravé le programme de Die Brücke en 1906:"Certain qu'une génération nouvelle vient de surgir, à la fois chez les créateurs et chez ceux qui jouissent de leurs créations, nous appelons tous les jeunes à se rassembler, en tant que porteurs d'avenir, à arracher au vieil ordre établi et à son confort la liberté des gestes indispensables à notre vie. Nous revendiquons comme notre quiconque reproduit directement et sans falsification ce qui le pousse à créer, quelle qu'en soit la nature."
L'oeuvre et le mode de vie de ces artistes sont liés: "c'est le besoin pur et naïf de réunir harmonieusement l'art et la vie."
Ernst Ludwig Kirchner et ses amis découvrent, avec les expositions d'avant-garde qui se succèdent à Dresde, les Post-impressionnistes dont Seurat, Toulouse-Lautrec  Gauguin et Van Gogh, ainsi que des peintres d'avant-garde: Munch et Matisse...
Kirchner  se revendique également  de la tradition des graveurs allemands du XVIeme siècle: Dürer, Grunewald, Cranach...qu'il étudie au musée de la ville, riche de la collection de Fréderic Auguste II .
La gravure sur bois devient pour lui un moyen d'expression privilégié. Les limites techniques de la gravure sur bois imposent une ligne et une construction pensée. Cette technique de la gravure sur bois va influer sur le dessin anguleux et la composition sévère de ses oeuvres.

Le sujet du nu est très fréquent dans la peinture et les gravures de Kirchner, avant guerre."Deux nus au tub et au poêle"de 1911 représente bien cette période avec un dessin ramassé, des couleurs pures en aplats, ainsi que la violence de l'oeuvre inspirée du Fauvisme et de Munch.
En 1911, Kirchner s'installe à Berlin où son style va évoluer vers les formes plus allongées et anguleuses bien connues.
En 1914 il est appelé et envoyé au front et fait une dépression. Démobilisé Kirchner s'installe en 1917 à Davos, en Suisse. Après la guerre, le groupe Die Brücke va se disperser. Kirchner expose temporairement avec le groupe du Blaue Reiter, sa peinture se cherche et perd de sa force initiale.
Les thèmes de la ville et de la solitude apparaissent.la"Scène de rue" ( recherche sur l'éclairage urbain.)de 1926-1927 est un exemple de cette période.

Ernst Ludwig Kirchner Passants dans la ruelle , Eclairage de nuit (1926-1927) Collection Frieder Burda

En 1937, le gouvernement Nazi confisque 639 de ses oeuvres.
En 1938 Ernst Ludwig Kirchner se suicide.
La génération d'avant la Grande Guerre avait le désir de changer la peinture et l'homme. Ce rêve s'est fracassé dans la guerre.

Le deuxième peintre de cette génération exposé  est August Macke.
Né en 1889, il meurt au combat en 1914. Bien que mort très jeune, il laisse une oeuvre abondante.
En 1908 August Macke découvre à Paris  Cézanne, Seurat , Gauguin et en 1910 Matisse à Munich , qui l'enthousiasme et lui fait comprendre le rôle de la structure de l'oeuvre. Franz Marc (1880-1916)  veut l'entraîner dans le groupe des artistes de Munich, la NKV, dont Kandisky est le leader.
En 1911 les artistes de Munich créent le Blaue Reiter.  Macke exprime sa répugnance pour la dramatisation du contenu de l'art des peintres du groupe. Pour lui, les modèles à suivre sont les oeuvres de Picasso, Le Fauconnier, Delaunay  présentées aux  expositions de la NKV puis du Blaue Reiter.
L'Orphisme de Delaunay l'inspire plus particulièrement.
Suivant le témoignage d'un ami, Macke "ne porte aucun intérêt au transcendental, sa sensibilité est élémentaire et profonde."et "Pour lui, la fusion de la forme et de la couleur est plastique et non pas spirituelle".
 Macke se tourne vers l'Orphisme et le chromatisme de Delaunay ainsi que les cubistes dont les petits prismes envahissent ses oeuvres.
L'oeuvre "Petit jardin zoologique en brun et jaune" de 1912 correspond à cette période. Macke a réalisé plusieurs tableaux sur le thème du jardin zoologique ; il explore alors les loisirs citadins, comme l'avait fait Seurat en 1887 avec "Dimanche après midi à la Grande Jatte."
Cette version est particulièrement aboutie; les couleurs sont plus chaudes que la gamme usuelle de Macke et la peinture ne comporte pas les prismes des cubistes théoriciens de la premiére version: Jardin zoologique I (1912)

August Macke Petit jardin zoologique dans bruns et jaunes. (1912) Musée Frieder BUrda, Baden-Baden

En 1914 Macke fait un voyage en Tunisie avec Klee; moins de deux mois après son retour il est mobilisé. Il était l'ami de Delaunay et de Guillaume Apollinaire. Il meurt le 26 septembre 1914 en Champagne.

Max Bekmann, né en 1884 et Kirchner sont contemporains. Il réalise de 1906 à 1913 des oeuvres monumentales, inspirées d'épisodes dramatiques chrétiens et de mythes. Son style pictural est lourd, personnel et à contre-courant des avant-gardes, dont il refuse les recherches formelles et esthétiques. Nuit ( 1918 ) Kunstsammlung Nordrheim-Westfalen,( Dusseldorf) est un terrible exemple de la peinture de Max Beckmann d'avant 1920 , de ses liens avec la traditionnelle peinture d'histoire et de son réalisme volontariste.

Après 1920 Beckmann participe aux côtés d' Otto Dix (1891-1969)et George Grosz(1893-1959),  au mouvement de la Nouvelle Objectivité, qui se veut en opposition à l' Expressionniste, alors bien implanté et au Constructivisme.
Le groupe et sa tendance du retour à la réalité est en résonance avec les mouvements italiens de Valori Plastici et  Novecento et correspond aussi au reflux des avant-gardes, à la période d'après guerre. L'abandon du Cubisme et le début de la période ingresque chez Picasso et l'abandon des peintures métaphysiques par Giorgio De Chirico à partir de 1918, sont deux exemples célèbres de ce retour au classicisme à cette pèriode .

De 1929 à 1933 Bekmann possède un atelier à Paris. Sa peinture évolue et se rapproche des nouvelles tendances réalistes. Il se confronte à l'avant-garde parisienne de Picasso, Matisse, Marquet,mais aussi aux peintres de Valori Plastici.
Trois des oeuvres présentes à l'exposition datent de cette époque. Il s'agit de trois paysages urbains, qui est un thème assez caractéristique de cette période.Une influence de De Chirico ou Valori Plastici est possible.
Ces trois oeuvres sont ainsi associées dans une sorte de parenthèse dans l'oeuvre de Beckmann, loin de ses considérations usuelles sur l'artiste, témoin de l'histoire, mais proches des autres formes du "réalisme" de l'époque.

En 1933 Bekmann s'installe à Berlin, décision funeste pour lui, puisque en 1937 le parti Nazi organise à Munich l'exposition de l'Art Dégénéré, inaugurée par Hitler. Toutes les oeuvres de l'avant-garde sont mises au pilori et stigmatisées comme art impur et dégénéré au sens racial nazi.
Max Bekmann quitte alors l'Allemagne. Il s'installe à Amsterdam, où son oeuvre est trés abondante . "Akademie II" (1944), oeuvre à l'allure grossière et caricaturale, désespérée,date de cette époque.
Aprés la guerre Beckmann émigre aux états unis ,où il décède en 1950 à New York.

La génération de  peintres d'après la seconde guerre mondiale est représentée , dans la collection Burda, par des artistes qui ont fuit l'Allemagne de l'est: Gerhard Richter, né en 1932; Sigmar Polke, (1941-2010 ) et Georg Baselitz, né en1939.


Richter et Polke ont été formés au Réalisme Socialiste. Richter a réalisé en RDA des peintures murales . Aprés leur départ de la RDA, les artistes se retrouvent à Düsseldorf.
En 1963, ils créent le groupe du Réalisme Capitaliste, qu'il faut entendre comme une référence au Pop Art débutant et comme une critique de la société de consommation en train d'apparaître dans une Allemagne de l'Ouest en plein essor économique.
Le groupe éphémère, expose avec Beuys à Düsseldorf, où Richter et Polke sont élèves à l'Académie, et Beuys professeur.
Richter dira plus tard qu'il était fasciné par "Fluxus", le mouvement  animé par Beuys, si "absurde et destructeur".
Le néo-dadaïsme de Fluxus a marqué tout aussi profondément Polke.
Richter réalise des peintures d'après des photographies, en particulier de magazines, parfois avec des textes: Alfa Romeo (1965) présentée à l'exposition en est un exemple.
Sigmar Polke (1941-2010) réalise  des images dites "tramées", qui reproduisent un effet d'agrandissement d'impression.
La filiation à R. Lichenstein ( 1923-1997 ), pop-artiste américain est évidente. Des photos de presse, de magazines , des gravures d'illustrations de  livres de Jules Verne, des bandes dessinées sont la source de ses images.
Polke utilise comme support des tissus industriels, sur lesquels il réalise aussi des dessins simplistes tel que"$ Bild"; le résultat est volontairement déroutant et dénonciateur des idéologies consuméristes. L'oeuvre avec son apparence simpliste, ses détournements, ses citations, est également une critique des idéologies artistiques sur le mode néo-dadaïste. L'association d'images ou de dessins et de thèmes abstraits montre une volonté de ridiculiser l'impérialisme de l'art informel de l'époque.


Georg  Baselitz, né en 1938, sous le nom de Georg Kern, est le troisième artiste présent à l'exposition de la génération qui arrive aprés la deuxiéme guerre mondiale.
Il a débuté sa formation à l'école des beaux Arts de Berlin Est, en même temps que A.R. Penk, et en fut renvoyé au bout d'un an pour "immaturité politique".
C'est à Berlin Ouest qu'il poursuit ses études, à la Hochshule der Bildenden Künst, et prend le nom de Baselitz, qui est le nom de sa ville natale.
Il s'oppose à l'art informel comme auparavant au Réalisme Socialiste et s'intéresse à l'art des malades mentaux.
En exposant à Berlin Ouest en 1963 ses premières oeuvres figuratives et provocantes, Baselitz déclenche un scandale public: certaines oeuvres sont retirées de l'exposition pour leur indécence.
A partir de 1965, Baselitz réalise la série des "héros", dont Der Hirte (le Berger)  de 1966, exposé ici.
Ses portraits sont d'un style brutal: bûcheron, berger ou peintre dans Verschiedene Zeiken (signes divers ),de 1965. Le peintre a l'allure fière et le regard levé, la main gauche dans un piège et la droite sur une palette.
Georg Baselitz avec "les héros", les" images fracturées", et les toiles peintes à l'envers , présente aux allemands l'histoire de leur pays. Il est avec Anselm Kiefer, le peintre de la mauvaise conscience allemande après la folie nazie.
Baselitz est taxé de néo-expressionniste, mais seule la violence de l'oeuvre peut justifier ce terme: l'Expressionnisme avait d'autres ambitions pour l'individu, mais c'était avant les deux conflits!
Il est aussi rattaché à la "Bad Painting". Effectivement Baselitz se réclame de Lovis Corinth, maître berlinois formé à Paris chez Bouguereau et membre actif de la sécession berlinoise, considéré comme le précurseur de ce courant mal défini.

A partir de 1981, Baselitz s'est mis à peintre à l'envers. Cet extraordinaire renversement du sujet (et non pas du tableau) aboutie à une forme d'apraxie chez le peintre. Il se place ainsi dans la lignée de ceux qui refusent d'apprendre, comme Kirchner, ou qui veulent désapprendre, comme Picasso et Dubuffet. La recherche d'une expression  spontanée et d'une préservation de la force créatrice sont les raisons invoquées par Baselitz à ce renversement.
Ses sculptures dégrossies à la tronçonneuse sont l'équivalent de ces toiles peintes à l'envers .

           
NeoRauch, né en 1960, appartient à la troisième génération de peintres allemands exposés à Aix. Il est le représentant le plus connu de la nouvelle école de Liepzig.
Il fut élève de Arno Rink(né en1940), puis de Bernhard Heisig (1925-2011) à l'Académie de Leipzig, et après la réunification, son assistant.( Le passé  de Heisig lors de la période nazie, fut l'objet d'un débat lors de la commande d'état pour le nouveau Reichtag) . A l'époque de la RDA, l'école de Leipzig est le foyer du Réalisme (Réalisme Socialiste?).
Bernhard Heisig, Arno Rink, Werner Tübke(1929-2004), Wolfgang Matthener (1927-2004) en sont les principaux représentants.

Neo Rauch s'est formé à l'époque de la RDA dans cette mouvance qui utilise les grands mythes comme un moyen d'expression tolérable pour les autorités communistes.

Les peintres transfuges de la RDA tels que Jörg Immendorf, Gherard Richter, Georg Baselitz ou Sigmar Polke, ont intégrés l'avant-garde occidentale et pris le train du Pop-Art, du Néo-Dadaïsme de Beuys, ou du Conceptualisme de Duchamp.
Néo Rauch, lui, est resté fidèle à la tradition figurative de Leipzig. Il considère que son intermède abstrait des premières années d' après la réunification correspond à un désir d'allemand de l'Est, de courtiser l'art occidental. Il déploie un univers d''allure surréaliste. Son oeuvre échappe à la réalité, c'est une aporie; il n'y a pas de clés cachées .
Rauch réalise sans projet initial des toiles construites comme des collages surréalistes.
Ses toiles-collages sont comparées à "Roman 100 têtes"de Max Ernst . Il est possible de parler de collages narratifs.
Les scènes représentées, sans rapport entre elles mais mises côte à côte, créent des sortes de fausses perspectives. Rauch a évoqué son intérêt pour les"fausses perspectives" et  cite un texte de G.C. Lichtemberg , sur  les gravures  Fausses Perspectives, de 1754, de William Hogarth.
Rauch est il un néo surréaliste?
Certainement pour Werner Spies, lors d'un entretien public en 2008, à quoi Rauch répond"...je ne me conçois pas moi même comme un peintre surréaliste."
A quoi attribuer cette forme de représentation?
A la tradition de l'école de Leipzig? C' est évident au regard des oeuvres de Rink, de Matthener, à l'époque de la RDA et après la réunification.
A la volonté de critiquer la réalité oppressante de l'Allemagne de l'Est de sa jeunesse et le désir d'exorciser les traces du nazisme par la distanciation du réel? Dans son entretien avec Werner Spies, Néo Rauch évoque des lieux encore marqués des souvenirs refoulés de l'époque nazie.

Le procédé du collage  est évacué dans "Interview" de 2006; l'oeuvre  présente une unité narrative qui la rend encore plus intriguante. En effet le procédé du collage narratif , à la fois daté et volontariste, disperse la narration et centre l'intérêt sur une poétique du collage.

Neo Rauch , Interview, 2006 (Huile sur toile, 210 x 300 cm) - Musée Frieder Burda © courtesy Gal. EIGEN + ART Leipzig/Berlin und Pace Wildenstein / ADAGP, Paris - 2012

Dans le tableau Interview, un fil narratif peut être imaginé par le spectateur.
Les sujets de cette toile , comme dans toutes ses oeuvres , sont ceux du Pop-Art ou du cinéma . Pour Andréas Platthaus, la bande dessinée serait aussi une des sources iconographiques de l'oeuvre de Rauch.
La référence au Surréalisme n'est plus très adéquate pour cette oeuvre (si toutefois elle le fût).
Avec la toile Interview nous contemplons ce qui pourrait être l'illustration d'un roman de science fiction, une scène de film ou a l'opposé une peinture ne racontant rien au sens d'un scénario, mais illustrant un imaginaire à la fois individuel et collectif  de par les sources de ses oeuvres citées.


Rauch dit de ses oeuvres qu'elles sont des "répliques sismiques d'une malfaisante histoire  ".



Dominique Dumas