Des Clés de la Peinture

Expositions

L'ATELIER DU MIDI, VINCENT VAN GOGH ET LA COULEUR

20-07-2013

                                                                                                                       A Sarah


Vincent Van Gogh est un peintre autodidacte.
A partir de l'été 1880 , Vincent a alors 27 ans, il se consacre définitivement au dessin et à la peinture.
Auparavant il a vécu plusieurs expériences. Apprenti et employé chez le marchand de tableaux et gravures Goupil et cie à La Haye, Londres et Paris puis séminariste et élève à l'école préparatoire évangélique de Bruxelles. Il obtient grâce à son père pasteur une mission dans le Borinage qui fut un nouvel échec.

Son séjour traumatisant dans le Borinage, son apostasie conséquence de cet échec, ont transcendé sa vocation de peintre en une sorte de sacerdoce : "J'ai une foi absolue dans l'art, la certitude que son courant puissant conduit l'homme vers un port d'attache. " (1883 ).
 En 1885, peu de temps après la mort de son père, il peint une Nature morte à la bible où il place à côté du livre sacré un roman à la couverture jaune, La joie de vivre de Zola, dont les personnages Pauline et Lazare vivent des crises spirituelles. Conçu comme une nature morte hollandaise du XVIIe ce tableau exprime son engagement spirituel dans l'art.

Nature morte à la bible,1885

Van Gogh Muséum, Amsterdam



La peinture paysanne.

La première conception de la couleur chez Vincent correspond à son séjour à la Haye et dans le Brabant. Elle est alors plutôt tonale et associée à sa peinture des paysans du Brabant et des paysages de la Drenthe et de Nuenen.
Millet (1814-1875 ), peintre de la paysannerie, qu' il connait surtout à partir de gravures, est son modèle absolu.
Anton Mauve ( 1838-1888 ) , l'ami de la famille qui le conseille, ou les peintres de La Haye comme Jozef Israels (1824-1911 ), sont pour Vincent des peintres " tonistes plutôt que coloristes " dont il s'inspire. Ils sont proches des peintres de Barbizon.
Van Gogh, employé chez Goupil de 1875 à 1876, connait bien et estime les peintres français Millet, Corot, Daubigny et aussi Jules Dupré ( 1811-1889 ) qui l'a marqué comme paysagiste, sans doute en partie par ses sources hollandaises et son réalisme.
Vincent écrit à Théo :
" J'ai lu avec beaucoup de plaisir Les maîtres d'autrefois de Fromentin. J'ai trouvé traitées dans ce livre à divers endroits les mêmes questions qui me préoccupaient beaucoup ces temps derniers et auxquelles je songe continuellement, justement depuis la fin de mon séjour à La Haye où j'ai entendu répéter ce qu' Israels avait dit sur le fait de commencer dans une tonalité mineure et de chercher à donner déjà une valeur claire au moyen de tons relativement sombres. D'exprimer enfin la lumière par opposition à l'obscurité."  (Lettre à Théo, vers le 15 Juin 1884 ) .
Les maîtres d'autrefois est un traité de 1875 du peintre orientaliste et écrivain Eugène Fromentin (1820-1876 ), sur la peinture flamande et hollandaise du Siècle d'Or.

Il y a trouvé entre autre des considérations sur la tradition tonale hollandaise : 
" Pour être complet, il faudrait examiner l'un après l'autre chacun des éléments de cet art si simple et si complexe. Il faudrait étudier la palette hollandaise, en examiner la base, les ressources, l'étendue, l'emploi, savoir et dire pourquoi elle est réduite, presque monochrome et cependant si riche en ses résultats, commune à tout et cependant variée, pourquoi les lumières y sont rares et étroites, les ombres dominantes, quelle est la loi la plus ordinaire de cet éclairage à contre sens des lois naturelles, surtout en plein air.."
 Vincent se plonge dans des recherches tonales, comme les maîtres d'autrefois, dont Van Goyen.                   ( 1596-1656 )

Jan Van Goyen
Vue de Haarlem avec
 l'église saint Bavon,
1656.
Jules Dupré
Les Moulins à vent, vers 1835.

Musée Beaux Arts de Reims.
Jean François Millet
Berger gardant un troupeau.

Brooklyn Muséum, Brooklyn,
 New York, USA.

 

Jozef Israels


Paysage avec dunes, 1853.

Private collection.

femme de scheveningen
cousant, 1881.

collection privée.



De Paris à la Provence.

Théo qui est à Paris responsable de la succursale de Boussod & Valadon et s'intéresse aux impressionnistes, est en désaccord avec Vincent sur l'utilisation du noir, proscrit de la palette impressionniste. Vincent va s'insurger à plusieurs reprises dans ses lettres que l'on puisse dire que dans la nature il n'y a pas de noir. Il regrette qu'on lui enlève le bitume et cite les noirs nombreux de Frans Hals et Velasquez. Il avoue qu'il ne comprend pas ce qu'est l'impressionnisme :
" J'ai bien compris que c'était autre chose que ce que je croyais, mais ce que l'on doit entendre par là, ça n'est pas encore clair pour moi. "

Le ton local en peinture est pour Vincent une préoccupation permanente. Il a lu avec passion le livre de Charles Blanc ( 1813-1882 ) qui dans Les artistes de mon temps ( 1876 ) relate de façon mondaine une discussion avec Delacroix. L'auteur demande à Delacroix si, comme il le pense, les grands coloristes sont ceux qui ne font pas le ton local ? " C'est parfaitement vrai " lui répond Delacroix.
Vincent revient sur cette question dans une autre lettre :
" Je ne suis pas encore absolument convaincu qu'un ciel gris doive toujours être peint dans le ton local. C'est ce que fait Mauve, mais Ruysdaël ne le fait pas, Dupré ne le fait pas. Corot et Daubigny ??? " 

Vincent est à Arles en Février 1888. Il découvre la Provence et s'enflamme pour ses paysages . Le mistral a soufflé et " le ciel était d'un bleu dur avec un grand soleil brillant… " et le 16 mars, alors que les arbres fruitiers sont en fleur, il écrit: " Le pays me parait aussi beau que le Japon pour la limpidité de l'atmosphère et les effets de couleur gaie."

A Paris sa peinture s'est transformée au contact des peintres d'avant-garde :
Il y a découvert Monticelli ( 1824-1886 ), peintre marseillais mort depuis peu, qu'il place au dessus de tous, à l'égal de Millet et il s'imprègne de sa touche en pleine pâte et de ses coloris brillants et clinquants.
A son arrivée il y a également découvert les impressionnistes, à l'occasion des deux expositions rivales du groupe qui ont eu lieu simultanément en 1886 à Paris et l'ont " farouchement déçu ".

Adolphe Monticelli
Vase de fleurs, 1877.

Collection privée.

Vase de fleurs, 1886.

Kröller-Müller museum
Otterlo, Pays-Bas.

autoportrait avec une estampe japonaise
1887.

Kunstmuseum Basel
 Basel, Suisse.
Les berges de la seine, 1887.

Van Gogh museum,
Amsterdam, Pays-Bas.



Gauguin rentré de Copenhague en France en 1885 s' intéresse à Théo Van Gogh, qui veut exposer Monet, le peintre le plus en vue du groupe impressionniste et qui commence a être reconnu. Gauguin fait rapidement la connaissance des deux frères Van Gogh.

Seurat et Signac, ainsi que le vieux Pissarro, ont marqué l'exposition de 1886 par des œuvres d'un style nouveau, pointilliste et chromoluministe et le critique d'art Félix Fénéon a signifié la fin du mouvement impressionnisme et le début du post-impressionnisme, incarné par la toile Un dimanche après midi à l'ile de la Grande Jatte ( 1884 ) . Les principes utilisés par Seurat dans cette toile novatrice ont des bases scientifiques inspirées de Chevreul et explicitées dans les ouvrages de Charles Blanc.

Ces idées sont bien connues de Vincent Van Gogh qui a lu ces livres et en parle dans des lettres à Théo de 1885. Dans sa solitude de Nuenen, il a appliqué à sa façon certaines idées sur la couleur présentées dans ces ouvrages.
Ainsi pour Les mangeurs de pommes de terre, il a utilisé à la place du blanc un ton neutre obtenu par un mélange des trois couleurs primaires. Il avait expliqué à Théo " qu'en mélangeant par exemple du vermillon, du bleu de Paris et jaune de Naples ",  il obtenait un ton neutre proche des intérieurs gris qu'il utilisait pour peindre les carnations des paysans, à peu près de la couleur pomme de terre, comme les paysans de Millet dont on a dit : " qu'ils semblent être peints avec la terre qu'ils ensemencent."

étude pour Les mangeurs
de pomme de terres, 1885

Van Gogh muséum,
Amsterdam, Pays-Bas.
Jean-François Millet
La récolte des pommes de terre.



Mais à Paris il s'est rendu compte qu'une partie de l'avant garde préconisait et appliquait d'une toute autre façon les mêmes idées.

Vincent a court-circuité l'impressionnisme. Il a suivi Seurat et Signac à sa façon et s'intéresse comme eux aux lois des contrastes simultanés des couleurs.

En Provence, à nouveau isolé, Vincent applique toujours les lois des contrastes et s'inspire aussi de Monticelli et des estampes japonaises. Sa correspondance fait état de ces modèles que sont Monticelli, Gauguin et les peintres japonais d' estampes, surtout Hokusai, sans oublier les anciens, "les étonnants peintres français " que sont Courbet, Delacroix, Millet et ceux de Barbizon. Chez Van Gogh le colorisme a succédé au tonisme.

Bateaux aux Saintes-Marie-de-la-Mer,
Avril 1888.
Dessin à l'encre.
Katsushika Hokusai

vue de Honmoku, 1803.



Le Midi n'est pas à l'origine de cette évolution, apparue dès son séjour parisien, mais l'amène à intensifier les tons de sa palette.

Vincent écrit dans une lettre à sa sœur Willemien le 30 Mars 1888 : " Je ne regrette pas moi-même d'être venu ici, car je trouve que la nature y est incroyablement belle, …Tu comprendras que la nature du midi ne peut pas être peinte précisément avec la palette par exemple de Mauve, qui appartient au Nord, et qui est du reste un maître du gris. Mais la palette d'aujourd'hui est absolument riche en couleurs - bleu ciel, rose, orangé, vermillon, jaune vif, vert clair, violet. Mais en intensifiant toutes les couleurs, on retrouve le calme et l'harmonie. "
Il compare cette gamme colorée à la musique de Wagner " qui utilise un grand orchestre pour quelque chose d'intime pour autant."

abricotiers en fleurs, 1888.

Collection privée.
La Mousmé, 1888.

National Gallery of art,
Washington, DC, USA.



Quelque temps après, il est aux Saintes-Marie-de-la-Mer et s'exclame " maintenant que j'ai vu la mer ici, je ressens tout à fait l'importance qu'il y a de rester dans le midi et de sentir - s'il faut encore outrer la couleur davantage -l'Afrique pas loin de soi. "

L'atelier du midi est une expression de Van Gogh. Elle concerne son désir de réunir Gauguin et Émile Bernard, puis d'autres peintres dans le midi où doit, pense-t-il, éclore l'école des coloristes du futur. Pour Vincent, le midi est relié à la couleur et à Delacroix, initiateur d'un nouveau colorisme. Le midi est également lié au Japon des crépons, les estampes qui représentent à ses yeux la couleur vive et le trait rapide.

" Il y aurait peut-être un réel avantage pour bien des artistes amoureux de soleil et de couleur d’émigrer dans le midi. Si les Japonais ne sont pas en progrès dans leur pays il est indubitable que leur art se continue en France. " ( lettre du 18 Mars 1888 à Emile Bernard. )

Le coloriste de l'avenir sera un peintre du Sud, qui impose de " rehausser la couleur ".
La peinture du nord, elle, est la peinture des gris, tonale et du passé.
Delacroix a montré la voie et les impressionnistes l'ont suivi, mais de façon incomplète.
Monticelli  est aux yeux de Vincent le vrai successeur de Delacroix : " Certainement Monticelli ne nous donne pas,  ni prétend nous donner, la couleur locale ni même la vérité locale. Mais il nous donne quelque chose de passionné et éternel - la riche couleur et le riche soleil du glorieux Midi dans une véritable voie parallèle à la conception que Delacroix se fait du Sud. cad que le Sud est représenté maintenant par des contrastes simultanés de couleurs et leurs dérivations.. " ( lettre à John Peter Russel du 19 Avril 1888; )

Il y a bien eu Monet à Antibes que Théo, son frère marchand d'art, expose justement en 1888 et Vincent sait le succès commercial de cette exposition.
Il y a Cézanne à Aix, mais Vincent  n'en connait pas grand chose, comme tout le monde, le maître d'Aix restant très isolé. Vincent l'imagine à l'autre bout du paysage, luttant comme lui à Arles contre le mistral qui lui rend la vie si dure.
Il y a Gauguin qui est allé peindre à la Martinique et qui a échangé une toile de femmes noires avec des études de tournesols de Vincent.

L'atelier du midi c'est en fait une école, et les œuvres que Vincent imagine dépassent la force créatrice d'un individu isolé et seront crées par un groupe d'artistes se combinant autour d'une idée commune.

Le pont levant et une femme, 1888
Dessin à l'encre .

Los Angeles County Museum
Los Angeles, USA.
Paysage de la Crau,1888.

Dessin à l'encre
Kupferstichkabinett,
Berlin, Allemagne.



Pourtant Vincent est fils du Nord, issu d'une tradition de peintres hollandais. Les paysages de la Crau et la Camargue, tout plats, avec des canaux, sont comme la Hollande des vieux maîtres :
" Beaucoup des motifs d’ici sont absolument – comme caractère – la même chose que la Hollande – la différence est dans la couleur – Il y a partout du souffre là que tape le soleil. " ( lettre à Théo vers le 14 Mai 1888 ) .
Des motifs qui vont apparaitre dans ses dessins à la plume de roseau et dans certaines de ses toiles.

La leçon de l'école hollandaise c'est bien sur le réalisme et pour Van Gogh il n'est pas facile de s'en détacher.
Il souhaite s'en éloigner, peindre assez vite et ne plus contrôler sa touche pour traduire l'impétuosité de son inspiration, comme il l'explique à Théo dans sa lettre du 7Juillet 1888, évoquant sa toile du Canal de la Roubine du Roi :
" N'est-ce pas l'émotion, la sincérité du sentiment de la nature, qui nous mène et si ces émotions sont quelquefois si fortes qu'on travaille sans sentir qu'on travaille, lorsque quelquefois les touches viennent avec une suite et des rapports entre eux, comme les mots dans un discours ou dans une lettre […]. Alors seulement je ressens la vie, lorsque je pousse raide le travail. […] je ne compte que sur mon exaltation dans de certains moments, et je me laisse aller à des extravagances alors. "

Il écrit, toujours à Théo : " Ici la nature est extraordinairement belle. Tout est partout. La coupole du ciel est d'un bleu admirable, le soleil a un rayonnement de soufre pâle et c'est doux et charmant comme les combinaisons des bleus célestes et des jaunes dans les Van Der Meer de Delft. Je ne peux pas peindre aussi beau que cela mais cela m'absorbe tant, que je me laisse aller sans penser à aucune règle." ( lettre à Théo du 18 Septembre 1888 )


La puissance créatrice.

L'expérience de l'atelier du midi durera deux mois, interrompue par la tragédie que l'on sait.

Gauguin dans ses souvenirs de l'atelier du midi, dix ans plus tard aux Marquises, écrira que c'est à son contact que Vincent a évolué et abandonné les idées post-impressionnistes qui l'embarrassaient.
Mais le 8 septembre, avant l'arrivée de Gauguin à Arles, Vincent exprime dans une lettre à Théo une nouvelle conception de la couleur, à l'occasion des peintures de nuit qu'il vient de réaliser et où il a cherché à :
" exprimer avec le rouge et le vert les terribles passions humaines. La salle est rouge sang et jaune sourd, un billard vert au milieu, 4 lampes jaune citron à rayonnement orangé et vert. C’est partout un combat et une antithèse des verts et des rouges les plus différents ; dans les personnages des voyous dormeurs, petits dans la salle vide et haute, 6 du violet et du bleu. Le rouge sang et le vert jaune du billard par exemple contrastent avec le petit vert tendre Louis XV du comptoir où il y a un bouquet rose."

Le Café de nuit, 1888.

Yale University Art Gallery,
New Haven, Connecticut, USA.
La Roubine du Roi
Canal avec lavandières, 1888.

Collection privée.



Une fois à l'asile de Saint Rémy, à nouveau seul et triste de l'échec de l'atelier du midi, Vincent écrit à Théo :
" Je ne regrette pas d'avoir voulu savoir cette question des théories de couleurs un peu techniquement."
 
La période du colorisme post impressionniste et " parisien " est terminée et Vincent voudrait revenir à une conception plus ancienne de la couleur :
"  Je regrette quelquefois de ne pas simplement avoir gardé la palette hollandaise des tons gris et d’avoir brossé sans insister des paysages à Montmartre."

Mais en fait sa couleur s'est libérée et Théo lui écrit :
" je ne pouvais pas formuler mes idées. Il y a des moments qu’on sent bien, mais où il est si difficile de se rendre compte de ce qui, dans la pensée, a pris corps et ce qui est encore à l’état vague. Aussi ne suis je pas sûr, de pouvoir t’écrire comme je le voudrais, aujourd’hui, mais ma lettre partira tout de même, si ce n’était pour te dire, que nous pensons souvent à toi et que tes derniers tableaux m’ont donné beaucoup à penser sur l’état de ton esprit quand tu les a fait. Il y a dans tous une puissance de couleurs que tu n’avais pas encore atteint, ce qui constitue déjà une qualité rare, mais tu es allé plus loin et s’il y en a qui s’occupent de chercher le symbole à force de torturer la forme, je le trouve dans beaucoup de tes toiles par l’expression du résumé de tes pensés sur la nature et les êtres vivants, que tu y sens si fortement attachés. Mais comme ta tête doit avoir travaillé et comme tu t’es risqué jusqu’à l’extrême point où le vertige est inévitable. Pour cela mon cher frère, quand tu me dis que tu travailles de nouveau, ce qui me réjouit d’un côté parce que tu y trouves de quoi éviter l’état où tombent beaucoup des malheureux qui sont soignés dans la maison où tu es, j’y pense avec un peu d’inquiétude, car avant ta guérison complète il ne faut pas te risquer dans ces régions mystérieuses qu’il parait que l’on peut effleurer mais non pénétrer impunément. "( lettre de Théo à Vincent du 16 Juin 1889 )

Les deux frères sont en complète harmonie et l'inquiétude de Théo sur " ces régions mystérieuses " font écho aux propres inquiétudes de Vincent sur son engagement : " quelque chose de plus grand que moi... qui est ma vie, la puissance de créer."
                                    
Il a la volonté "d'être coloriste arbitraire ". Il veut s'inspirer non pas des " parisiens changeants et perfides comme la mer. " (il veut dire les impressionnistes ) mais revenir à la " génération d'avant : Delacroix, Millet, Diaz, Monticelli et un tas d'autres qui pourraient comprendre. "

Vincent à propos du Semeur qu'il a réalisé en Juin 1888, écrit à Théo :
" J’ai eu une semaine d’un travail serré et raide dans les blés en plein soleil, il en est resulté des études de blés, paysages et – une esquisse de semeur – Sur un champ labouré, un grand champ de mottes de terre viollettes – montant vers l’horizon – un semeur en bleu et blanc. à l’horizon un champ de blé mûr court.
Sur tout cela un ciel jaune avec un soleil jaune.
Tu sens à la simple nomenclature des tonalités – que la couleur joue dans cette composition un rôle très-important.
Aussi l’esquisse telle quelle – toile de 25 – me tourmente-t-elle beaucoup dans ce sens que je me demande s’il ne faudrait pas la prendre au sérieux et en faire un terrible tableau. "

En 1889, Vincent, Gauguin et Bernard cherchent leur voie dans un symbolisme proche. Van Gogh, isolé à l'asile de Saint-Remy, recherche une communion spirituelle avec ses deux amis. 

Champ d'Oliviers et les Alpilles, 1889.

Collection privée.
La Nuit Etoilée, 1889.

MoMA, New York, USA.



Il s'exclame :
" Enfin j’ai un paysage avec des oliviers et aussi une nouvelle étude de ciel étoilé. Tout en n’ayant pas vu les dernières toiles ni de Gauguin ni de Bernard je suis assez persuadé que ces deux études que je te cite sont dans un sentiment parallèle. Lorsque pendant quelque temps tu auras vu ces deux études ainsi que celle du lierre, mieux que par des paroles, je pourrai peut-être te donner une idée des choses dont Gauguin, Bernard et moi ont quelquefois causé et qui nous ont préoccupé.
Ce n’est pas un retour au romantique ou à des idées religieuses, non. Cependant en passant par le Delacroix davantage que cela paraisse par la couleur et un dessin plus volontaire que l’exactitude trompe l’œil, on exprimerait une nature de campagne plus pure que la banlieue, les cabarets de Paris. On chercherait à peindre des êtres humains également plus sereins et plus purs que Daumier n’en avait sous les yeux…Gauguin, Bernard ou moi nous y resterons tous peut-être et ne vaincrons pas mais pas non plus serons nous vaincus. Nous sommes peut-être pas là pour l’un ou pour l’autre, étant là pour consoler ou pour préparer de la peinture plus consolante. "


Le semeur de vérité
.

Nous connaissons la suite : les œuvres de Saint-Remy-de-Provence puis d' Auvers-sur-Oise et la mort au bout du compte, puis la légende du peintre fou, ou à l'inverse du " suicidé de la société ".

Artaud a écrit en 1947 un texte très inspiré sur Van Gogh : Le suicidé de la société, dans lequel il associe le statut de génie et la folie pour soutenir ensuite que Van Gogh n'était pas fou, mais qu'il fut une victime de son rejet de la société !  Il analyse avec une sensibilité exacerbée plusieurs toiles de Van Gogh et s'exprime sur sa couleur avec une perception aiguë.

" Ce à quoi Van Gogh tenait le plus au monde était son idée de peintre, sa terrible idée fanatique, apocalyptique d’illuminé.
Que le monde devait se ranger sous le commandement de sa matrice à lui, reprendre son rythme compressé, antipsychiatre d’occulte fête en place publique et, devant tout le monde, remis dans la surchauffe du creuset.
Cela veut dire que l’apocalypse, une apocalypse consommée couve à cette heure dans les toiles du vieux Van Gogh martyrisé, et que la terre a besoin de lui pour ruer de la tête et des pieds…Mais comment faire comprendre à un savant qu’il y a quelque chose de définitivement déréglé dans le calcul différentiel, la théorie des quanta, où les obscènes et si niaisement liturgiques ordalies de la précession des équinoxes, - de par cet édredon rose crevette que Van Gogh fait si doucement mousser à une place élue de son lit, de par la petite insurrection vert Véronèse, azur trempé de cette barque devant laquelle une blanchisseuse d’Auvers-sur-Oise se relève de travailler, de par aussi ce soleil vissé derrière l’angle gris du clocher du village, en pointe, là-bas, au fond "
Antonin Artaud.             Le suicidé de la société.

La Chambre à coucher de Vincent à Arles, 1888.

Van Gogh Muséum, Amsterdam, Pays-Bas.



 Le critique Emile Aurier fut le premier, dès 1890, à écrire sur Van Gogh dans le Mercure de France, un texte au style emphatique :
" Dans presque toutes ses toiles, sous cette enveloppe morphique, sous cette chair très chair, sous cette matière très matière, gît, pour l'esprit qui sait l'y voir, une pensée, une Idée, et cette Idée, essentiel substratum de l'œuvre, en est, en même temps, la cause efficiente et finale. Quant aux brillantes et éclatantes symphonies de couleurs et de lignes, quelle que soit leur importance pour le peintre, elles ne sont dans son travail que de simples moyens expressifs, que de simples procédés de symbolisation. Si l'on refusait, en effet, d'admettre sous cet art naturaliste l'existence de ces tendances idéalistes, une grande part de l'œuvre que nous étudions demeurerait fort incompréhensible. Comment expliquerait-on, par exemple, le Semeur, cet auguste et troublant semeur, ce rustre au front brutement génial, ressemblant parfois et lointainement à l'artiste lui-même, dont la silhouette, le geste et le travail ont toujours obsédé Vincent Van Gogh, et qu'il peignit et repeignit si souvent, tantôt sous des ciels rubescents, de couchant, tantôt dans la poudre d'or des midis embrasés, si l'on ne veut songer à cette idée fixe qui hante sa cervelle de l'actuelle nécessité de la venue d'un homme, d'un messie, semeur de vérité, qui régénèrerait la décrépitude de notre art et peut-être de notre imbécile et industrialiste société ? "
Emile-Albert Aurier, Les isolés,1890.
Le critique parle d'exécution exaltée de dessin brutal et de couleurs éblouisantes, "simples moyens expressifs,...simples procédés de symbolisation. "

Théo adressa l'article à son frère qui écrivit aussitôt à Aurier, lui expliquant qu'il avait omis de dire combien il se sentait redevable de Gauguin et Monticelli.

Le critique influent Octave Mirbeau ( 1848-1917 ) a établi dès la première exposition posthume la légende du peintre de génie, incompris et intouchable, avec plusieurs de ses articles puis son roman ( publié en feuilleton dans l'Echo de Paris en 1892-1893 ) Dans le ciel, avec son personnage Lucien, peintre et alter-ego de Vincent.

Georges Duthuit a écrit une lettre féroce sur Van Gogh à son beau père Matisse, chef de file des Fauves, mouvement redevable à Van Gogh pour la libération de la couleur ! :
" Mais les critiques nous répètent que Vincent nous offre son cœur saignant, qu'il avance en prophète dans l'incompréhension générale, qu'il faut voir en lui une sorte de dieu solaire. Il nous apprend lui même qu'il cherche à construire un ensemble, à peindre des tableaux capables de faire chanter l'un l'autre, qu'il rêve d'un art de collaboration….Et voici que tout cela nous parait dur, pittoresque, desséché, inanimé. Les rouges, les jaunes d'or, les vermillons semblent avoir été cuits dans un four. Les contrastes de vert sur violet deviennent un raffinement décoratif pour faïences de brasserie…" et de continuer, toujours à l'adresse de Matisse :
" Van Gogh a eu cette trouvaille, que les peintres seuls peuvent discuter… de rejeter les valeurs et de s'en tenir aux couleurs pures. ..Ce faisant il a simplement montré que la grâce de réfléchir la lumière à l'égal des pierreries ne dépendait pas d'une doctrine et d'une méthode. A trois mètres, ses soleils, ses tourbillons de feu ne sont plus qu'une tache douteuse. Van Gogh nous apparait comme le type du faux primitif. L'école peut voir dans ses figures une certaine lourdeur, une certaine gaucherie : dans l'ensemble c'est un caractère de virtuose qui domine. Un maître, en somme, formé à l'école naturaliste des hollandais puis fanatique de la jonglerie d'Hokusaï. "

Le Semeur, 1888.

Rijkmuseum
Kröller-Müller,
Otterlo, Pays-Bas.



Après son suicide plusieurs expositions eurent lieu dont une chez Théo qui, malade, ne survécut pas longtemps à son frère. Vincent était entré d'emblée dans sa légende.




       Dominique Dumas  Juillet 2013

  NB : les citations des lettres sont issues de l'édition du Musée Van Gogh d 'Amsterdam et correspondent au texte original, écrit pour la période d'Arles en français.

 


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Dernière mise à jour:
28/12/2012
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